Redécouper les régions pourquoi pas, mais sans leur donner plus de pouvoir elles resteront des régions molles. C’est d’ailleurs peut-être au fond ce que souhaite le pouvoir central. Le vrai débat n’est pas sur la forme mais sur le fond.
Ceux qui nous gouvernent sont d’incorrigibles centralisateurs. En effet, on sait depuis quelques années que l’État n’a jamais su se défaire du peu de pouvoir qu’il avait laissé aux collectivités depuis les premières lois de décentralisation. Il a maintenu des administrations qui doublonnent le travail de ces collectivités et qui éventuellement les contrôlent.
Bref le coût est supérieur à ce qu’il devrait être. La défiance coûte plus cher que la confiance ! Oui parce qu’il y a défiance, toujours et par principe. Le centre suspecte la périphérie de ne pas être assez docile. Et maintenant il l’accuse régulièrement d’être dépensière. Il la recadre en permanence et la tient par le système fiscal ou plus précisément par l’absence de fiscalité propre et autonome des collectivités. Le système des dotations d’État est une version élégante de la carotte et du bâton. La preuve en est que l’on promet plus aux collectivités qui fusionneront et la punition aux récalcitrantes.
Tradition
Mais enfin tout cela on l’a déjà dit, écrit. Bon nombre de pays d’Europe, que certains citent pourtant en exemple, sont des pays décentralisés, fédéraux. On veut les copier dans plusieurs domaines mais pas dans celui-ci. On nous dit que notre « tradition républicaine » ne pourrait le supporter. Rien ne le prouve et de toute façon dans le domaine des traditions, ceux qui combattent pour l’idée républicaine devraient comprendre que faire un sort aux traditions est souvent la seule voie pour s’engager vers le progrès. Sinon, au nom des traditions, la situation des femmes n’aurait guère évolué, l’esclavage existerait encore. Je ne ferai pas ici la liste complète des traditions auxquelles on a bien fait de ne plus se conformer ; elle serait longue.
Comme il n’est pas question de faire du manichéisme en dénonçant d’une part un centralisme qui serait parisien et d’autre part de gentils habitants des régions soumis au pouvoir central, disons tout de suite que le système que nous dénonçons bénéficie de la complicité de bon nombre d’élus des collectivités. Le système a créé ses acteurs et il a aussi ses figurants.
Changer la forme mais pas le fond
La déresponsabilisation a parfois du bon pour certains ! Un jour ou l’autre on espère être aspiré par le centre et profiter du système. Dans ce schéma, l’administration —les grands corps de l’État comme on dit— y retrouve son compte puisqu’elle connait bien cette règle et sait combien elle hypnotise les nouveaux arrivants dans les hautes sphères du pouvoir. Elle sait aussi que très vite la complicité s’établit afin que rien ne bouge. Le centralisme c’est cela : un équilibre créé par les intérêts convergents d’une certaine classe politique et d’une certaine administration. C’est du conservatisme, ni plus ni moins. Je n’oublie pas non plus les médias dont la centralisation suit; et parfois même accompagne ou precède la centralisation du politique. Quant aux partis ils sont centralisés pour coller au modèle ; et vous observerez qu’ils le sont de plus en plus. Il est quand même étrange qu’ils ne soient pas organisés sur le plan régional ! Ils ont gardé le département.
Donc, aujourd’hui il conviendrait de réduire le nombre de régions. C’est même un ordre. Le premier ministre fait une crise d’autorité afin certainement de parfaire son image et peut-être pour faire oublier la mollesse des propositions débattues depuis des années en matière de décentralisation. Alors plutôt que de travailler sur le fond on nous propose de changer la forme. Ce n’est pourtant pas en haussant le ton que l’on va renforcer les propositions qui sont sur la table. Faire croire qu’avoir des régions plus grandes les mettra à la dimension européenne c’est se moquer du monde. L’Europe est faite de régions de taille très diverse ; les petites vivent parfois mieux que les grandes. Certains États de l’Union sont déjà plus petits que nos régions ! Faut-il les annexer pour leur donner la taille européenne ? Faut-il en finir avec le Luxembourg, la Slovénie, Malte…?
On va faire des économies !
Qui peut croire que le fonctionnement coûtera moins cher parce qu’il y aura moins de régions. Les calculs ont déjà été faits du temps de la réforme Sarkozy et on sait que ce n’est pas vrai. Il faudra payer plus de déplacements, le nombre d’agents ne baissera pas, etc. La seule façon de faire des économies c’est moins d’administration d’État et laisser plus d’autonomie aux régions. On a vu leur efficacité en matière de transports ferroviaires, de lycées et aujourd’hui ce sont elles qui travaillent dans le domaine de la transition énergétique alors que l’État piétine. Elles pourraient faire bien mieux si elles avaient les moyens de leur politique. Mais l’État les tient, les rends dépendantes par les dotations.
Quant à supprimer les départements on finit par ne plus y croire. Le système est bâti ainsi. C’est du bluff ! On nous en parle depuis si longtemps ! Et ça n’est pas venu. La pression des élus locaux a été forte mais celle de l’administration n’a pas été pas moindre.
Ignorer le couple préfet- président de conseil général, ou parfois préfet-président de communauté urbaine ( bientôt métropole) c’est ne pas comprendre une des bases du centralisme. Le département a de beaux jours devant lui tant que l’idée de régionalisation ne sera pas acceptée. Il fonctionnait autrefois sur le couple député-maire-préfet. Il fonctionnait à merveille pour satisfaire à la fois une classe politique qui n’avait pour rêve que d’être « entendue à Paris » et une administration qui savait qu’elle avait ses relais sur le terrain : un relais administratif et un relais politique. Et quand en plus le contre pouvoir médiatique est absent du tableau…!
Redécoupage
Pour toutes ces raisons je ne suis pas un chaud partisan de la discussion sur le redécoupage des régions. Vous pouvez faire toutes les cartes que vous voulez, ce n’est pas cela qui fera exister une collectivité et en particulier une région. Il me semble que l’on va nous amuser avec ça afin d’occuper les élus locaux alors même que la question du pouvoir ne sera pas posée. On posera comme un postulat que l’État est le garant de l’égalité. Son omniprésence aurait dû nous mettre depuis longtemps dans une situation d’égalité des citoyens et des territoires unique au monde, et pourtant !
On ne touchera pas à la fiscalité ou très peu et on se refusera à l’idée de transférer des compétences nouvelles. L’État continuera à piloter les dépenses des régions par le système des dotations mais aussi par la subtile politique des contrats. C’est ce qui lui permet de diriger les dépenses des régions en disant si vous mettez un euro à tel endroit, j’en mets un aussi. Au final c’est lui qui décide !
Il ne tardera pas a reprendre le contrôle des fonds européens que l’on a donné aux régions mais dont on surveille du coin de l’oeil la distribution.
Nous sommes dans un pays où les collectivités sont sous tutelle, sous surveillance tels des enfants dans la cour de récréation. Et ne comptez plus sur les médias pour vous en parler car en quelques années ils se sont centralisés comme jamais auparavant. La presse écrite régionale est au plus mal, la télévision régionale inexistante, les télévisions locales n’ont aucun cadre pour se développer, les radios survivent et quant à l’internet il s’est structuré sur le modèle du reste.
Les médias français sont incapables d’avoir un discours autre que condescendant sur les collectivités. Il n’y a pour eux que le pouvoir central qui compte, celui qu’ils fréquentent, auquel ils se mélangent, auquel ils se marient parfois…
Dans ces conditions le redécoupage régional est du folklore pour ces médias. C’est comme faire la guerre sur une carte et avancer des pions sans avoir la moindre idée du terrain. C’est laisser croire que tout ça n’est rien d’autre qu’un débat d’attardés repliés sur leurs traditions, leur terroir, leur province.
Et il faut bien reconnaitre que certains élus en rajoutent quant à la « dimension indispensable des régions pour faire face à la mondialisation ». Quand on voit les efforts qu’ils déploient pour gommer les spécificités historiques, linguistiques et culturelles dans les critères qu’ils mettent en avant pour les fusions et autres redimensionnement des régions, on se dit qu’ils ont un peu honte de ce qu’ils sont. Ils parlent comme le centre…pour lui faire plaisir. Ils préfèrent la carotte plutôt que le bâton !
Régions occitanes
Alors que dire de ceux qui imaginent des régions où l’on veut marier la carpe et le lapin ? Ils jouent avec un hexagone qui reste pour eux la forme géométrique magique. Il est posé là au milieu de nulle part. Pas de prise en compte de l’Europe, pas de relations transfrontalières. Tout n’est que recentrage vers Paris. Il ne faut donc pas s’étonner que les régions occitanes soient maltraitées. Vu de Paris, l’axe ne peut que proposer un redécoupage qui ignore la frontière de l’Oïl et de l’Oc. Pas étonnant que l’on vous propose une région qui va de Pau à La Roche sur Yon ! Il y a de quoi se faire bidonner tous ceux qui connaissent un peu leur géographie, leur histoire et la culture politique de tout ce territoire. Mais vous trouverez toujours des gens pour justifier l’injustifiable et même le théoriser. Ils vous trouveront des façades maritimes, des axes de ceci ou de cela, des affinités improbables qui alimenteront des discussions sans fin dans les assemblées régionales. Pendant ce temps on ne parlera pas du pouvoir des régions.
Il est évident que s’il y a fusion il faut que ce soit par affinités. Et il est évident que ces affinités sont historiques, culturelles, linguistiques.
Alors peut être faut-il marier Aquitaine, Limousin, Midi-Pyrénées, Languedoc, Provence, Auvergne et arriver à en faire une ou plusieurs régions ? Ce serait la meilleure des solutions. C’est ce qu’il faut demander.
Mais si le redécoupage est avant tout un débat pour occuper les citoyens à discuter d’autre chose que de la redistribution du pouvoir, vous verrez aussi que les polémiques seront centrées par exemple sur la question de savoir quelle ville sera la capitale de deux ou trois régions qui fusionneront. Cela donnera lieu à un spectacle qui ravira les médias parisiens, montrant ces « provinciaux » se battant pour savoir qui sera le petit Paris de sa région ! Et croyez moi ce débat existera vraiment et il sera même bien plus passionné que celui de savoir si les assemblées régionales doivent avoir un pouvoir réglementaire ou législatif ou si les régions peuvent lever l’impôt. Rappelez-vous la mobilisation de ceux qui voulaient garder le numéro de leur département ! Qui aurait cru qu’un tel amour des chiffres pouvait donner lieu à ce spectacle de députés tenant à la main leurs plaques minéralogiques sur les marches du Palais-Bourbon pour faire la photo de la première page des journaux régionaux ?
Contre-pouvoirs
Alors quelle que soit la taille des régions, il importe d’abord qu’elles soient aussi des contre pouvoirs, des zones d’équilibre du centralisme. Des lieux qui permettent de dédramatiser l’alternance au centre. Chaque fois que l’on a une présidentielle on fait croire au changement. La déception arrive et on attend l’élection suivante en se vengeant, en attendant, lors des élections locales, sur ceux qui ont soutenu celui qui a déçu. Bref c’est le dévoiement des élections locales et régionales comme on a dévoyé le référendum en répondant à celui qui pose la question plutôt qu’à la question.
Un vrai pouvoir régional permettrait de faire en sorte que l’alternance régionale soit aussi un enjeu ; les élections des différentes régions ne se feraient pas toutes le même jour puisqu’il serait possible de dissoudre une assemblée régionale et de fixer des élections anticipées. C’est ainsi que fonctionnent bien des États fédéraux. Tout ne serait pas centré sur une seule et même élection vue comme la mère de toutes les batailles et la seule qui vaille que l’on se déplace.
Il faut créer différents espaces d’alternance politique et de responsabilisation, créer des pouvoirs qui s’équilibrent, se contestent parfois, s’affrontent aussi, afin qu’ils soient contraints au débat et au compromis. Ça s’appelle la démocratie.
David Grosclaude