Et si François était la clé ?

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François 1er peint par Jean Clouet (crédit wikimedia commons)

J’en vois déjà qui se demandent de quoi je veux parler. Il y a ceux qui s’interrogent et pensent peut-être que j’ai décidé de passer à droite. Il y a ceux qui se demandent si j’encourage le sortant à se représenter. Il y a peut-être ceux qui pensent que je me la joue à la béarnaise, en estimant que le recours est à Pau.

 

Il n’y a rien de tout ça dans mon propos !

Je m’aperçois tout simplement que François est un prénom qui porte chance. En 58 ans de cinquième République le président s’est appelé François durant vingt-et-un ans (Mitterrand pendant quatorze et Hollande pendant cinq ). Il faut y ajouter les onze années durant lesquelles le président s’est appelé De Gaulle. Vous voyez où je veux en venir ? L’identification de l’homme au pays ! D’ailleurs je me demande si Nicolas Sarkozy n’aurait pas mieux fait, pour sa communication, de parler de « nos ancêtres les gaullistes » !

J’ajoute que Fillon s’appelle François et que Bayrou s’appelle aussi François. Ça fait beaucoup de François pour un débat électoral !

En tous cas, assez pour imaginer que dans l’inconscient collectif — qui est un élément important dans le comportement électoral — le fait de s’appeler François pourrait être un atout. François c’est un prénom qui résonne dans l’inconscient de ceux qui ont été nourris par le roman national, qui ont été socialisés politiquement dans une certaine idée de la France.

Que François soit une forme historique du mot « français » et du mot « franc » est une réalité. Je me souviens même que le prénom a été associé à la francisque…Bon, je deviens mesquin.

Je ne crois pas à un quelconque déterminisme qui serait lié aux prénoms et je suis peu sensible à l’idée qu’ils auraient une influence sur le comportement des individus qui les portent. Je sais que certains y croient mais je n’adhère pas à cette thèse. En revanche, je me contente de dire que ce prénom peut avoir une petite influence sur la perception que peut avoir un groupe humain d’un individu médiatisé, en fonction des éléments culturels évoqués auparavant. Et quand on sait que 1% suffit à faire basculer une élection, vous comprenez mon raisonnement face à la résonnance éventuelle du prénom dans l’insconscient collectif.

La socialisation politique des enfants a été étudiée par des sociologues et les symboles comptent beaucoup dans la formation du citoyen et de son comportement. L’enseignement de l’histoire, (son appréhension et sa caricature parfois) est à l’origine de mythes puissants. Les mots, les images et leur résonnance pèsent parfois lourd.

Quand on sait le niveau de connaissance de l’histoire en France, je crois que ça peut être influent dans le débat politique. Par ailleurs je note que la façon d’enseigner l’histoire fait aussi partie de la campagne électorale et, qu’à gauche comme à droite, on plaide en faveur du retour au « roman national » parfois bien éloigné de la vérité historique. En cela j’adhère à l’idée que les politiques n’ont pas à se mêler de faire les programmes des professeurs d’histoire.

Alors certes, de s’appeler François n’est pas la martingale qui assure le succès dans une élection présidentielle, mais qui sait si ça n’est pas utile en cette période d’instrumentalisation souvent abusive de symboles nationalistes (Jeanne d’Arc par exemple, le mythe Charles Martel, etc…). Je me rappelle même que lors de l’élection du dernier Pape certains médias français, en quête d’un commentaire, avaient noté que le Pape avait choisi un prénom qui le liait à la France ! Oui, c’est assez pauvre comme commentaire, et un peu nombriliste.

François est aussi un prénom à l’origine d’un débat tout à fait intéressant sur le plan linguistique. Allez, souvenez vous de 1539 et de l’Édit de Villers-Cotterêts. Ce texte — que ceux qui s’affirment plus républicains que la République ne cessent de nous sortir— a été signé par un roi qui s’appelait François. Oui, même Mélenchon, de son prénom Jean-Luc, estime qu’il s’agissait d’un progrès dont il se félicite d’être un des continuateurs. Le texte de l’Édit de Villers-Cotterêts dit à propos des textes officiels, que le roi ordonne qu’ils soient « prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement ».

A propos de ce texte on a beaucoup débattu. On s’est beaucoup interrogé pour savoir s’il s’agissait de lutter contre le latin ou contre les autres langues parlées dans le royaume, particulièrement l’occitan. Deux textes antérieurs à Villers-Cotterêts et traitant du même sujet (1) ne comportaient pas le mot « françois ». Le premier disait « vulgaire et langage du pais » et le second « langue vulgaire des contractants ». Ce n’est que dans le troisième que l’on évoque le « françois » donc le français. Etrangement le nom de la langue est aussi le nom du roi qui signe le texte !

Cela signifie t-il que le roi exigeait que l’on écrive dans sa langue maternelle ? Oui, puisqu’il est le royaume, qu’il s’y identifie. Villers-Cotterêts est bien la décision d’un François pour que le français soit la seule langue administrative. L’article 2 a complété tout cela et c’est un François qui était président, mais là c’est un élément anecdotique.

Je remercie ici mon père avec qui j’avais eu une discussion au sujet de Villers-Cotterêts quelques jours avant sa mort. Nous avions débattu à propos de la confusion du nom du roi, de la langue et des habitants du royaume. C’est lui qui m’avait sensibilisé quelques années auparavant à l’analyse des comportements politiques et électoraux tout comme il m’avait fait lire quelques ouvrages sur l’inconscient collectif. Il ne faisait aucun doute pour lui que le texte de François 1er avait pour but d’imposer le « françois », la langue d’Oïl, contre sa concurrente la langue d’Oc.

Après cette digression je reviens à mon sujet de départ. Vous pouvez me trouver un peu léger en évoquant l’impact d’un prénom sur le comportement des électeurs. Mais, encore un petit argument : regardez le logo que François Fillon utilise. C’est un F majuscule en bleu, blanc et rouge. Le F de Fillon, le F de François et le F de France. Si les communicants y ont pensé, s’ils ont décidé de se servir de ces éléments de communication, c’est bien qu’ils estiment que ça leur est utile.(2)

Bon maintenant il y a une élection en vue et je me demande si les sujets qui intéressent les François se confondent avec ceux qui intéressent les Français.

Je vais m’arrêter là. Je suis inquiet, parce qu’avec un tel raisonnement je pourrais dériver sur la popularité de personnalités politiques qui s’appelleraient par exemple…Maréchal. Je n’ose imaginer ce que je trouverais si j’explorais alors l’inconscient collectif. Je ne suis pas sûr que ça me plairait.

(1) ordonnance de Louis XII en 1510 et lettres patentes de François 1èr en 1531. J’ajoute un texte postérieur à 1539 qui est celui d’octobre 1620 dans lequel Louis XIII annexant le Béarn ordonne que le « langage françois » soit celui des écrits du Parlement de Pau

(2) Regardez qui a voté pour François Fillon et comparez leur âge avec les statistiques du prénom François. Ce prénom est en baisse depuis le début des années 80 mais il était très prisé depuis le début du XXème siècle. Il a même été donné de façon encore plus importante entre 1945 et 1980. La moyenne d’âge de ceux qui le portent est de 70 ans.

Fillon et Mélenchon rivalisent sur les langues

pluriel

Ce livre est paru en février 1981. Il est le programme des socialistes de l’époque sur la question des langues et des régions . Dans la préface François Mitterrand écrit que cet ouvrage est fait pour montrer que   : « notre combat pour libération du peuple de France passe aussi par la lutte des peuples « minoritaires »de notre pays pour reconquérir leur droit de vivre (…) une et diverse, voici la France »

Quand Fillon rivalise avec Mélenchon sur la question des langues dites régionales.

A l’heure où les socialistes lancent une opération de séduction de dernière minute en laissant des députés déposer et débattre d’une proposition de loi sur les langues dites régionales il n’est pas inutile de faire un petit saut dans les archives afin de lire ce que «les nouveaux » hommes politiques qui se disputent la présidence de la République nous disent sur le sujet.

Je mets en illustration de cet article la couverture d’un livre qui fut publié en 1980 et qui était la bible du PS en matière de langues régionales. Ecrit par des gens convaincus et sincères il a servi à ratisser des voix. Préfacé par François Mitterrand, je peux garantir que si la moitié de ce qui est proposé dans ce livre avait été mis en place, nous serions bien loin de la situation linguistique désolante que nous connaissons aujourd’hui. Mais…les promesses n’ont engagé que ceux qui voulaient y croire !

Comme je ne voudrais pas apparaitre comme un pourfendeur du seul gouvernement socialiste qui n’a rien fait sur la question des langues, je me permets de faire ici une mise au point.

1) Je connais parfaitement l’attitude l’extrême droite sur le sujet. C’est une opposition systématique à toute avancée en matière de droits linguistiques. C’est un principe au FN, on s’oppose à tout ce qui touche la question des langues. Donc qu’on ne me fasse pas de procès inutile. Je n’ai pas envie de faire la publicité pour ce parti.

2) Les gouvernements de droite n’ont pas fait mieux que ceux de gauche bien qu’il existe à gauche et à droite des parlementaires sincères qui ont tenté de faire bouger les choses. Ils sont parfois arrivés à des résultats symboliques ( article 75-1) ou à des résultats plus concrets ( article 40 de la loi Peillon). Mais à part cela le bilan est maigre sauf si l’on excepte quelques spécificités comme la Corse bien qu’il reste encore bien du travail et que l’État ne soit pas toujours prêt à tenir ses engagements.

3) La proposition de loi en faveur des langues régionales qui arrive en discussion à l’Assemblée Nationale dans les jours qui viennent tombe à pic pour le gouvernement. Elle est présentée et rédigée par des députés sincères et combattifs sur le sujet depuis des années. Puis elle est signée par de très nombreux députés qui ont brillé par leur absence lorsque au mois de janvier dernier une autre proposition de loi a été rejetée parce qu’il n’y avait personne en séance et que le groupe socialiste a laissé les plus farouches opposants aux langues qu’il compte dans ses rangs voter pour des absents…

Chacun se souvient de cet article publié par un député apparenté du groupe socialiste, Jean Luc Laurent, et délicatement intitulé : « Langues régionales : bienvenue chez les dingues».

Nous avions à l’époque écrit au président du groupe pour demander une explication mais il n’a jamais daigné nous répondre. Et pourtant aujourd’hui il est dans les premiers signataires de la proposition de loi.

Il s’agit donc d’un texte qui ne pourra pas aller au bout parce qu’il n’aura certainement pas le temps de passer par le Sénat et de revenir avant les élections de 2017. Mais on pourra toujours dire que c’est la faute au Sénat de droite. Que n’ont ils présenté un texte quand l’AN et le Sénat étaient à gauche ?

4) Quant à la droite elle est à la veille de se choisir un champion et on ne voit pas parmi les deux candidats en lice de véritable connaisseur de la question ni de véritable militant en faveur d’un statut des langues de France.

Les deux furent premiers ministres et ils auraient pu faire…mais n’ont pas fait.

Il sera cependant intéressant de lire ce qu’écrivait en 1999 ( eh oui ! il était déjà actif) un certain François Fillon sur le sujet. Je remercie d’ailleurs A. Barthélémy, un ami provençal d’avoir fait circuler ce texte que nous avions oublié mais qui vaut son pesant d’or. Il permet à celui qui est arrivé en tête de la primaire de la droite dimanche dernier de rivaliser avec J.Luc Mélenchon.

Comme il est peu probable que vous aurez accès à ces prises de position en regardant les débats sur les chaines de télévision parisiennes (publiques ou privées) il est bon que nous gardions en mémoire un certain nombre de textes qui en disent long sur l’intérêt que porte la classe politique française au sujet de la diversité linguistique et culturelle.

En dehors du fait que l’on cherche à nous faire passer pour arriérés mentaux, hostiles à toute ouverture au monde, les arguments sont pauvres. A l’image certainement du débat politique actuel.

Extraits de l’intervention de Jean Luc Mélenchon au Sénat le 13 mai 2008. Juste avant de prendre la parole il avait fait dans la dentelle. Lorsqu’un de ses collègues prononça le nom de Diwan, les écoles bretonnes immersives, le sénateur Mélenchon s’écria : « c’est une secte ! »

La suite est plus policée mais laisse entrevoir quelques éléments qui, s’ils étaient contenus dans la constitution d’une VIème République dont la rédaction serait confiée à celui qui s’exprime, suscitent chez moi, républicain laïc que je suis, quelques inquiétudes.
« Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en montant à cette tribune, je suis persuadé que, quels que soient les points de vue que vous exprimez sur ce sujet, tous ici vous vous sentez aussi patriotes que moi-même, aussi attachés à l’unité et à l’indivisibilité de la République française que je le suis et dignes continuateurs du progrès constitué par l’ordonnance de Villers-Cotterêts : ce texte a établi le français comme langue du royaume, permettant à chacun de se défendre, de témoigner, d’attaquer en justice et d’être compris par les autres (…).Pour ma part, je n’accepte pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise les langues régionales. Ce n’est pas vrai ! La France s’est dotée dès les années cinquante d’un cadre législatif très favorable aux langues régionales ; elle était même en avance sur beaucoup de pays d’Europe à cet égard

La loi du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, qui porte le nom du socialiste Maurice Deixonne, a officiellement autorisé et favorisé l’apprentissage des langues régionales de France dans l’enseignement public : le basque, le breton, le catalan et l’occitan, auxquels se sont ajoutés ensuite le corse en 1974, le tahitien en 1981, et quatre langues mélanésiennes en 1992. De sorte qu’aujourd’hui, et depuis 1970, tous les élèves qui le souhaitent voient ces enseignements pris en compte pour l’obtention du baccalauréat.(…)

Enfin, j’aborde ce qui constitue pour moi le cœur du problème. Il ne s’agit pas de dire que la sauvegarde des langues et cultures régionales nous pousse sur la pente qui conduit automatiquement à la sécession, au particularisme et au communautarisme. Telle n’est pas mon intention ! Mais j’ai bien l’intention de dire que le risque existe. Il ne saurait être question, sous prétexte de respect de la diversité culturelle, d’admettre un point en contradiction absolue avec la pensée républicaine : il n’y a pas lieu de créer des droits particuliers pour une catégorie spécifique de citoyens en raison d’une situation qui leur est propre.

Le fait de parler une langue différente ne suffit pas à instituer des droits particuliers en faveur de ses locuteurs ! Or c’est ce que prévoit explicitement la charte : il s’agit d’encourager la pratique de ces langues « dans la vie publique et la vie privée ».

S’agissant de la vie privée, je rappelle que le caractère laïque de notre République interdit que les institutions gouvernementales et étatiques fassent quelque recommandation que ce soit concernant la vie privée des personnes(…)

Le Conseil constitutionnel a donc eu raison de dire, en 1999, qu’en conférant « des droits spécifiques à des “ groupes ” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “ territoires ” dans lesquels ces langues sont pratiquées, [cette Charte] porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. » (…)

Débats du Sénat 13 mai 2008

Dans ces extraits d’un texte qui est une tribune publiée par Libération en mai 1999, le député de la Sarthe ,François Fillon, qui a déjà été ministre et qui est élu député depuis 1981, explique qu’il se réjouit que le Conseil Constitutionnel ait empêché la ratification de la Charte européenne des langues. Les arguments se veulent résolument modernistes.

Vous verrez aussi qu’il fait parler les Québécois. Je ne parle que de mon point de vue, mais il ne m’a pas été donné de rencontrer un Québécois qui m’ait reproché de favoriser l’invasion de son territoire par l’anglais en défendant l’occitan et en m’expliquant que cela enlèverait de la force aux défenseurs du français. François Fillon lui en a visiblement rencontré, ou alors il les a rêvés.

« La charte sur les langues régionales ne prendra pas le chemin du Congrès de Versailles. La constitution échappera donc à une énième révision. Eh bien, tant mieux !

Car la question des langues régionales que nul ne menace en France est, pour notre pays, un sujet anodin. Elle est cependant révélatrice de la situation française. L’ampleur démesurée accordée à cette affaire mineure masque mal tout d’abord la pauvreté du débat politique les questions bien plus essentielles pour l’avenir du pays : comment adapter notre pacte social ; comment organiser la mondialisation et réguler ses conséquences économiques et culturelles, quels objectifs et quelle éthique fixer au développement des nouvelles technologies de l’information, aux biotechnologies, à 1a génétique ; comment replacer la politique au coeur de la cité ? (…)

Tout ceci est à l’image d’une société obsédée par la nostalgie du passé et, à tort, confortée dans ses frilosités Alors que nous nous apprêtons à entrer dans un nouveau siècle complexe, marqué par des enjeux différents, l’élite politique, intellectuelle et médiatique choisit précisément de dépenser son énergie sur le sort d’un patrimoine certes estimable, mais qui ne mérite nullement de figurer au rang des enjeux culturels du futur.

Quels sont ces enjeux? D’abord la jeunesse doit maîtriser la langue française. C’est une question de bon sens et d’intégration républicaine, alors même que l’illettrisme, et l’analphabétisme persistent fortement en France. Ensuite, face à la domination de la langue anglaise, nous devons nous efforcer de faire vivre la francophonie et les spécificités culturelles qui s’y rattachent. Il n’y a que les Français pour ne pas mesurer l’importance et la difficulté de ce combat culturel. Les Québécois, pour qui ce combat est une question « de vie ou de mort » doivent observer notre débat sur les langues ancestrales avec désolation. Enfin, dans un monde ouvert et compétitif, la jeunesse doit parfaitement maîtriser une ou deux langues étrangères. Cette maîtrise constituera non seulement une ouverture intellectuelle mais également une nécessité professionnelle. Voilà les enjeux véritables, voilà les priorités qui doivent être débattues et affichées.(…)

Entre l’individu et la mondialisation, la structure intermédiaire d’identification collectif, c’est la nation et, à un degré moindre, l’Union européenne.

Face aux six milliards d’individus qui peuplent notre planète, notre avenir ne se situe donc pas dans une parcellisation culturelle infranationale, mais dans une dynamique d’intégration suffisamment forte pour permettre aux citoyens d’affronter ensemble, sur des bases culturelles communes, l’ouverture sur le monde extérieur.

Dans cette affaire un peu dérisoire, le débat n’est donc pas entre je-ne-sais quels jacobins et girondins, républicains ou démocrates, il est plus prosaïquement entre ceux qui regardent l’avenir avec ses priorités et ceux qui pensent que la France a du temps à perdre pour vagabonder dans le passé. Il est surtout entre ceux qui pensent que la France doit impérativement se doter des armes adéquates pour se projeter vers le monde extérieur et ceux qui pensent que notre intérieur national est à lui seul un monde.

Alain Juppé lui est resté discret sur le sujet. On trouve peu de déclarations. Deux phrases sur Twitter que voici.

« Les langues régionales font la richesse de la France. La langue corse doit être parlée et apprise dans l’école de la République ».

Difficile de dire moins quand on va en Corse !

Puis celui -ci à la suite du discours en Corse de J.G Talamoni à l’assemblée de Corse

« Article 2 de la Constitution française: « La langue de la République est le français ».

Ajoutons que c’est lui qui a saisi le Conseil Constitutionnel en 1999 a près la signature par la France de la Charte européenne et qu’il était question de la soumettre à ratification.

La solitude de la frite

Cette campagne électorale présidentielle peut-elle tomber plus bas que là où elle se trouve déjà ?

J’avoue ! J’ai regardé le dernier débat de la primaire à droite. Rarement temps d’antenne n’avait été aussi vide de propositions. Les protagonistes n’avaient pourtant à la bouche que des phrases pour dire qu’ils voulaient parler des vrais sujets « qui intéressent les Français ».

Mais, à droite comme à gauche, on ne parle de rien si ce n’est de son nombril. Et tous le font. Ils vont tous se vautrer sur le canapé de l’animatrice de M6 pour y raconter leur vie, même Mélenchon qui y va pour dire que les questions personnelles n’intéressent pas les gens…mais il y va.

frites

Dans la vacuité du débat sortent quand même des sujets, ceux que l’extrême droite a imposés comme des sujets que les médias parisiens considèrent comme incontournables et dont ils débattent. Ils valident les préjugés en faisant par exemple de l’accueil de quelques dizaines de milliers de réfugiés une invasion. Ils utilisent aussi les attentats pour inventer encore et encore des propositions de lois qui viendraient régler tous les problèmes et protéger les citoyens alors que l’on sait que l’arsenal juridique actuel est largement suffisant.

Peu importe ! On stigmatise, on généralise, on caricature ; et ça marche. Mais ça désinforme. Et en désinformant on forme l’électorat et l’opinion, on prépare le terrain. Pour qui ? C’est bien là le problème. À ceux qui se taisent, attendent que chaque petite phrase vienne apporter un peu plus d’eau à leur moulin à paroles. À ceux qui nous ramènent au « c’était mieux avant ! ».

Parmi les phrases qui tuent j’ai retenu les gastronomiques et culinaires. N. Sarkozy expliquait il y a peu que dans les cantines scolaires il était contre les menus alternatifs. Tout cela devant une assistance qui se régalait de la phrase où il expliquait que ceux qui ne veulent pas de porc auront « double ration de frites » quand le menu sera jambon et frites.

Faux débat évidemment, puisque chacun sait que dans beaucoup de cantines il y a aujourd’hui des self-services avec des possibilités de choisir. De toute façon je rejoins la proposition faite par un député qui est de mettre en place dans toutes les cantines un menu végétarien. C’est pragmatique, et cela règle le problème tout en faisant de la pédagogie sur la surconsommation de viande.

Cette solution est pour moi une façon d’exprimer mon opposition au menu alternatif et au débat instrumentalisé sur le sujet. Ces questions ont été résolues de façon pragmatiques dans bon nombre de collectivités, sans stigmatiser personne et sans que la République ne recule. Pas la peine donc d’en faire un plat !

Et puis qu’est qu’ils ont tous avec leurs arguments alimentaires ? Il y avait le pain au chocolat de Copé (chocolatine pour les occitans de l’ouest) dont il ne connait même pas le prix. Il y a quelques années on avait déjà eu le fameux « et je ne vous parle pas de l’odeur ! ».

C’est donc ça le débat politique ! des vielles rengaines cuites et recuites !

Mais comment avons-nous pu laisser faire ça ? Comment acceptons-nous cette médiocrité ?

Ce ne serait pas grave s’il n’y avait pas derrière des discours haineux, des manifestations odieuses contre l’installation de quelques personnes qui viennent chez nous et que l’on voudrait renvoyer chez eux.

Il y avait en 1939 en Béarn un camp que l’on avait ouvert pour les soldats de l’armée républicaine espagnole, ceux de l’armée basque et pour les brigades internationales. Plus de 15 000 hommes entassés à Gurs. Quels commentaires ne pouvait-on lire dans la presse béarnaise de la part de ceux qui ne voulaient pas de ces gens ! Certains se consolaient de cette arrivée en disant « à quelque chose malheur est bon ! » parce que le barbelé était fourni par les entreprises locales ! Mais ils étaient 15 000, soit deux fois la jungle de Calais, et tous rompus à la guerre et au combat. Ils faisaient peur. Gurs en quelques semaines était devenue la deuxième ville du Béarn ! Ce camp, une fois vidé de ces soldats (partis pour beaucoup dans les maquis) Vichy choisit d’y accueillir les « indésirables » venus d’Allemagne, que les nazis souhaitaient voir internés en France.

Nous savons (ou nous devrions savoir) que le problème n’est pas de repousser aujourd’hui ceux qui arrivent à nos frontières mais comment nous allons faire demain avec ce problème qui risque bien de s’accentuer. Cette migration peut durer ; pour des raisons politiques, climatiques, économiques.

Voilà le débat et voilà ce que nous avons à choisir pour la génération future. Voilà ce dont il faudrait parler durant cette élection. Voilà ce que l’Europe doit résoudre et voilà pourquoi elle doit exister politiquement.

Alors que choisir pour nos enfants ? Soit nous les armons, et leur apprenons à fermer les frontières, soit nous leur préparons à faire un monde où ceux qui sont obligés de quitter leur terre pourront rester chez eux. Je ne crois pas à l’option dure et militaire. Ou alors ce sera un monde invivable. Sans compter que nous laisserons aussi à nos enfants le reste : la dette, le changement climatique, et une démocratie mourante qui seront les produits de notre fermeture.

Je ne fais pas d’angélisme et je sais qu’il y a des menaces et des ennemis qui profitent de la situation; je ne pense qu’à la sécurité de nos enfants. Elle est menacée aussi par nos peurs et nos renoncements. Ceux qui amalgament migrations, attentats, mise en danger des valeurs républicaines sont des aveugles. Continuons comme cela et nous serons débordés par nos propres peurs. Nous restreindrons nos libertés, nous nous ficherons les uns les autres. Et au final le menu sera unique, le même pour tous. Même pas sûr qu’il y aura quelque chose pour accompagner les frites ! Nous avons surtout besoin d’une bonne ration de démocratie.