Voici l’article que LA RÉPUBLIQUE DES PYRÉNÉES m’avait demandé et qu’elle publie ce jour à propos de la PASSEM, la course en faveur de la langue occitane organisée par LIGAMS les 25, 26 et 27 mai prochains.

Les bretons ont mis en place la course en faveur de la langue bretonne il y a dix ans: Ar Redadeg. (Photo) Les basques l’avaient fait avant avec la Korrika. La Passem a vocation a se répéter tous les deux ans. (photo Ar Redadeg)
Mais après quoi courent ils ?
Après quoi courront ils durant trois jours et deux nuits en Béarn ? * Ils ne courront après rien de sonnant et de trébuchant. Ni argent, ni médaille, ni gloire ! Ils courront pour une langue ; celle du Béarn, ou plutôt celle que le Béarn a en partage avec d’autres régions occitanes. On l’appelle béarnais, gascon, langue d’Oc, occitan. Peu importe !
Ils courront pour un outil qui sert à dire le monde, celui d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Toutes les langues sont des outils qui mettent les femmes et les hommes en relation. Celle de notre territoire en est un parmi des milliers d’autres.
Le risque que notre langue disparaisse un jour existe. Ce serait une perte irréparable pour nous, ici,
mais aussi pour l’humanité dans son ensemble. Chaque langue qui disparaît est un moyen d’inventer autrement le monde de demain qui s’évanouit.
Ceux qui courront pendant trois jours et deux nuits se passeront un témoin dans une course symbolisant la transmission de la langue.
Certaines familles ont choisi aujourd’hui de transmettre à nouveau l’occitan à leurs enfants. La transmission familiale avait failli s’arrêter et voici qu’elle reprend peu à peu. Certains de ces jeunes parents ont choisi de mettre leurs enfants dans des écoles (publiques ou associatives) où l’on enseigne en béarnais. Rien de passéiste et de nostalgique dans tout ça. C’est un acte pour demain. Ceux qui courront le feront pour que ce mouvement s’amplifie parce que la langue doit vivre.
Je ne ferai pas ici le traditionnel couplet historique pour dire que cette langue inventa, il y a près de mille ans, la poésie moderne, ou qu’elle permit d’écrire l’histoire politique, sociale, littéraire du Béarn pendant des siècles. Non, je vous parlerai au futur.
Quelle chance pour un territoire d’avoir une langue et une culture, différente et à partager avec toutes et tous, nés ici ou pas ! Une langue n’appartient à personne ; c’est un bien collectif, c’est un outil qui s’adapte à chaque génération, à chaque situation.
La diversité des langues et des cultures est indispensable pour répondre aux périls écologiques, sociaux, économiques et politiques qui nous attendent. Parce qu’il n’y aura pas une seule répo
nse, mais plusieurs, nées de la diversité des visions du monde. Et chaque langue est une représentation du monde.
Si parmi les dangers qui nous guettent il y a la destruction de la diversité biologique et le réchauffement climatique, il en est un autre que j’appelle « le refroidissement culturel », c’est à dire l’uniformisation des langues et des cultures, et donc de la pensée.
A ceux qui nous serviraient encore l’argument éculé de l’utilité de telle ou telle langue, disant qu’il vaut mieux apprendre le chinois ou l’anglais que l’occitan, je leur réponds que ces jeunes qui parlent l’occitan font partie de ceux qui apprennent le plus vite d’autres langues. Et puis le cerveau humain, on le sait désormais, peut accueillir plus d’une ou deux langues.
Je citerai enfin cet auteur de chansons françaises bien connu, Etienne Roda-Gil —dont la langue maternelle était le catalan— qui écrivit pour J.Clerc une chanson intitulée « Utile ». Elle dit : « comme une langue ancienne que l’on voudrait massacrer, je veux être utile à vivre et à rêver ». Vivre et rêver : c’est à dire inventer le monde.
Quelle chance a le Béarn d’avoir un outil de plus pour inventer demain, pour rêver et vivre ! Alors oui, ça vaut la peine que nous allions courir, nous tous, ensemble !
David Grosclaude
* Passem ! : course relais de trois jours et deux nuits a travers le Béarn les 25, 26 et 27 mai. Information : www. lapassem.com/fr/la-passem/