La discussion sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires s’est déroulée comme prévue. Comme il n’y a plus le tribun du Front de Gauche à l’Assemblée pour agiter un épouvantail, le rôle était joué par H.Guaino, l’homme qui était la plume de N.Sarkozy et qui n’hésite pas à se revendiquer provençal.
Heureusement une grande majorité des députés semble favorable à l’idée d’une adoption de cette loi constitutionnelle qui permettrait de ratifier la Charte.
Du débat à l’Assemblée Nationale on pourrait ne retenir que la caricature que nous a présentée Henri Guaino à propos de la Charte. Mais heureusement il y avait autre chose. Le député Jean-Jacques Urvoas a été clair dans son explication, disant qu’il ne s’adressait ni aux convaincus ni aux opposants par principe mais plutôt à tous ceux chez qui cette question ne provoque pas d’émotion particulière et qui peuvent être sensibles aux arguments simplistes. Effectivement de ces arguments nous en avons entendus quelques uns et ils peuvent être ravageurs parfois. Mais en concluant que : « toute langue a le droit de vivre aussi petite soit-elle » le député socialiste a bien résumé la question.
Soutien du gouvernement
Quant à Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture elle a joué son rôle en promettant le soutien du gouvernement. On attend simplement maintenant un peu plus d’elle. Il serait urgent qu’elle pioche dans le rapport qui lui a été remis ils y a six mois et qu’elle mette sur la tables des avancées concrètes. Des propositions il y en a plein la centaine de pages du rapport. Peut-être le fera t-elle à l’occasion du vote de mardi prochain à l’Assemblée ? Je l’espère. Lors de la remise de ce rapport je lui avais demandé de faire mentir les pessimistes en ne mettant pas ce texte dans un tiroir. Elle m’avait répondu qu’il ne finirait pas aux oubliettes. J’ai donc quelque espoir qu’il en sortira quelque chose, d’autant plus qu’elle a déclaré devant les députés que : « la ratification de la Charte est attendue pour clarifier le statut des langues » et qu’elle soulignait hier que, si l’on était attachés aux principes républicains on devait comprendre que « l’égale dignité des langues » en faisait partie.
A la sortie de l’Assemblée où nous étions plusieurs élus régionaux en charge des langues. Ici en compagnie de Pascale Schmidiger de la Région Alsace et de Léna Louarn de la Région Bretagne
L’exception française : Capet et la Révolution !
Henri Guaino, le député UMP a voulu pour sa part absolument démontrer que la Charte était nocive et que l’on allait vers la destruction de la République. Son discours, commençant par des arguments qui se voulaient juridiques, s’est très vite transformé en évocation apocalyptique de l’avenir de la République si celle-ci ratifiait la Charte. Selon lui les ratificateurs de la Charte avancent masqués en faisant croire que ce texte est inoffensif. Puis, comme si cela ne suffisait pas, il a parlé de « l’exception française » qui serait le produit à la fois de la dynastie capétienne et de la Révolution. « Le fédéralisme est votre idéal refoulé », « Toutes nos langues vivent dans le français » , « le français n’est pas une langue comme une autre », « vous voulez en finir avec l’unité linguistique ». Voilà quelques phrases qui résument l’intervention de H.Guaino qu’il terminait par un tonitruant
« Vous récusez le principe d’indivisibilité ! » le tout adressé à Jean-Jacques Urvoas et à,ses amis.
Cet affreux mélange d’arguments qui se veulent juridiques et politiques, donnent une sauce idéologique d’un autre âge mais qui auprès de certains fonctionne encore. On le verra dans les médias n’en doutons pas. Cette « exception française » dont parle Guaino est un permis de tuer les langues. Au nom de la langue française qui serait menacée ( un député de droite a même lancé à un moment : « ce ne sont pas les langues régionales qui sont menacées, c’est le français qui va disparaitre ! » ) on aurait le droit d’éliminer les autres qui seraient la menace…vieille rengaine de l’ennemi de l’intérieur !
Bref, on ne pouvait avoir Mélechon sur le sujet mais on avait Guaino ! Ne nous réjouissons cependant pas trop vite car Mélenchon n’était pas loin. Il avait envoyé une lettre de trois pages à tous les députés pour leur expliquer, en tant que député européen, toute la nocivité de la Charte et tous les dangers qu’elle fait courir à la République. Comme quoi ses prises de position sur le sujet sont d’une constance remarquable, de vraies convictions qui devraient amener à réfléchir ceux qui à gauche le suivent tout en défendant l’une ou l’autre de nos langues.
Soutien majoritaire
Les groupes qui ont suivi, ont soutenu le texte de la proposition de loi et refusé de soutenir la position de H.Guaino qui demandait que le texte ne soit pas étudié et déclaré irrecevable. Quant à la droite elle est divisée. Certains députés UMP n’ont pas suivi Guaino. Le député breton Marc le Fur (UMP et dont on sait l’engagement qui est le sien en faveur d’un statut des langues) il souhaitait même que l’on renvoie le texte en commission pour l’améliorer parce qu’il trouvait que l’on faisait la part trop belle à des remarques anciennes faites par le Conseil Constitutionnel. Peut-être n’a t-il pas tort, mais si l’on peut faire un premier pas faisons-le. Parce que l’on a quand même entendu —et c’est agréable à l’oreille— des députés rappeler que les députés peuvent modifier la constitution et pas les juges. Il est bon de rappeler des principes démocratiques de base.
La deuxième partie des débats s’est faite autour d’amendements à la proposition Urvoas. Marc le Fur pour l’UMP demandait à ce que l’on ne mette pas dans le texte de la proposition de loi les réserves faites en leur temps par le Conseil Constitutionnel (cf le texte de la proposition à la fin de cet article). Il estime que cela réduira la portée des engagements contenus dans la Charte.
Paul Molac, le député de l’UDB, était sur une position identique et proposait lui aussi des amendements.
Au final rien n’a été touché et c’est le texte du député socialiste breton qui a été adopté, sans surprise.
Politiquement la position de Marc le Fur se comprend. Il n’a aucun intérêt à se montrer minimaliste et il est dans l’opposition. Sans compter qu’il ne tient pas laisser, en Bretagne, à J.J Urvoas la place de meilleur défenseur de la langue. Il y a des régionales l’an prochain.
Paul Molac essayait aussi de limiter au maximum la portée des réserves contenues dans le texte de la proposition de loi ; mais il votera mardi en faveur même s’il n’est pas parvenu à le faire modifier.
Et maintenant ?
Que va t-il se passer maintenant ? Le texte va revenir pour un vote et puis, s’il est positif, si le Sénat s’en empare et le vote aussi, il restera au gouvernement de décider s’il peut présenter ce texte au Congrès pour modifier la constitution. C’est un choix qui demandera du temps donc ce n’est pas pour demain ; il faudra plusieurs mois. Mais n’oublions pas qu’à la fin de l’année il y a des sénatoriales qui seront influencées par les municipales à venir. Il ne faudrait pas que le Sénat bascule et fasse une place trop large aux amis de H.Guaino, même si en ce domaine les frontières partisanes ne sont pas toujours pertinentes.
Des décisions concrètes, vite !
Mais, avant même tout cela il faudrait que le gouvernement prenne des décisions. Il peut rédiger un projet de loi qui serait un statut des langues, il peut piocher dans le rapport qui a été remis au mois de juillet à la ministre de la Culture.
Pour la loi il y a de la matière dans les propositions de loi déjà déposées et en particulier celle qui est prête depuis longtemps. Elle est le résultat du travail du groupe d’études parlementaires sur les langues auquel bon nombre de députés occitan ont participé et en particulier Martine Faure. Ce texte auquel Paul Molac a apporté aussi sa pierre pourrait servir de base pou la ministre de la Culture et le gouvernement. En réécrire un de A jusqu’à Z ne servirait à rien.
Urgence
Il faut aussi qu’il se penche d’urgence sur le statut des écoles associatives et qu’il recherche une solution pour leur permettre d’exister et de se développer. Les derniers événements en Pays Basque et en Béarn montrent qu’il y a une volonté de la part du préfet des Pyrénénes-Atlantiques de faire appliquer sans aucune volonté de négocier et sans aucune indulgence la loi Falloux. Ainsi la Calandreta d’Artix est-elle clairement menacée d’expulsion. Et des ikastolas en Pays Basque sont menacées elles aussi.
Ce sont des écoles qui répondent à une demande et qui forment des enfants bilingues ; elles font un travail de service public. A côté d’elles existent des écoles bilingues ( dites à parité horaire ) de l’Éducation Nationale. Il y a de la place pour toutes, et particulièrement en Occitanie où le territoire est immense.
Il y a une grande variété de domaines où le gouvernement peut d’ores et déjà avancer en faisant légiférer le parlement ou alors par des moyens réglementaires.
Il y a aussi, et c’est important de mon point de vue, à donner aux régions une compétence particulière pour la mise en place de politiques linguistiques publiques. La première loi sur les collectivités en parle mais il faut préciser et donner les moyens. A cet égard les régions occitanes montrent la voie en proposant ( pour cinq d’entre elles à ce jour ) de travailler ensemble dans un Office Public de la Langue Occitane. Il va être créé et il serait bon que l’État s’y associe. Nous le lui demandons.
La ratification de la Charte sera donc un des éléments d’une politique nouvelle. Elle ne peut être le seul, c’est une évidence, mais elle a valeur de symbole, de message envoyé à l’opinion, au monde associatif, et aussi à l’extérieur des frontières de l’hexagone.
David Grosclaude
Le texte de la proposition de loi
Article unique
Après l’article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article 53-3 ainsi
rédigé :
«
Art. 53-3.
– La République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, signée le 7 mai 1999, complétée par la déclaration interprétative exposant que :
« 1. L’emploi du terme de “groupes” de locuteurs dans la partie II de la
Charte ne conférant pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires, le Gouvernement de la République interprète la Charte dans un sens compatible avec la
Constitution, qui assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ;
« 2. Le d du 1 de l’article 7 et les articles 9 et 10 de la Charte posent un principe général n’allant pas à l’encontre de l’article 2 de la Constitution, en application duquel l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, ainsi qu’aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics. »
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